A l’occasion de la 59e édition de la fête nationale de la jeunesse, qui se célèbre tous les ans, le 11 février, l’association des blogueurs du Cameroun (ABC) organise une campagne d’articles de blogs sur le thème : « souvenirs de jeunesse »

Quand j’étais petit, je voulais être militaire. Pas parce que je rêvais d’armes ou de combats héroïques, mais parce que mon école maternelle appartenait à l’armée. Tous les matins, je voyais ce rituel impressionnant : un militaire se postait au milieu de la route, stoppant voitures et passants, pendant que le drapeau montait lentement dans le ciel. Ce moment me fascinait. Je trouvais ça puissant. J’avais 5 ans et dans ma tête, être militaire, c’était être respecté, imposer l’ordre, et surtout, faire en sorte que tout le monde s’arrête pour toi.

Puis, un jour, j’ai changé d’idole. Ce n’était plus ce militaire en uniforme impeccable, mais ma grande sœur, Liliane. Elle était une footballeuse redoutable, connue et respectée dans le quartier. Et moi ? Moi, j’étais « le petit frère qui ne joue pas ». Mes amis ne se gênaient pas pour me rappeler que pendant que Liliane driblait des hommes sur le terrain, moi, j’étais à la maison. Par orgueil, j’ai décidé de m’y mettre. Au début, c’était pour faire taire les moqueries. Puis, j’ai commencé à être bon. Très bon. Deux coupes TOP à mon actif : une en tant que latéral droit, l’autre en défenseur central. Mais le football comme carrière ? Non, pas sous le toit parental. Mes parents voyaient ça comme un loisir, pas un métier. Alors, j’ai continué mes études, jouant au foot juste pour le plaisir, dans les fameux « 2-0 ». Même làbàs, j’étais bon.



Premier contact avec le dessin
J’ai toujours aimé dessiner, sans vraiment me poser de questions. À l’université, je me suis retrouvé à faire des caricatures pour Le Quotidien de l’Étudiant, un journal étudiant. C’est là que j’ai rencontré Robert, un grand frère qui m’a poussé à sortir de ma zone de confort. Il m’a même encouragé à participer au concours du logo du cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun. J’ai rendu ma proposition à la dernière minute. Non retenue. Déception ? Pas vraiment. Parce que quelques mois plus tard, j’ai tenté un autre concours organisé par l’Institut Goethe : créer une illustration qui allie football et bibliothèque. J’ai dessiné un joueur en maillot des Lions Indomptables prêt à tirer… mais le but était remplacé par une bibliothèque, avec la phrase « La bibliothèque est la gardienne de la connaissance ». Le tout réalisé sur Paint, sur l’ordinateur d’un ami.

J’ai oublié, que j’avais participé à ce concours. La vie était compliquée. L’école devenait difficile, côté cœur c’était la catastrophe : ma copine de l’époque avait décidé de « donner sa vie à Dieu ». Traduction : c’était fini. Et puis, un jour, un numéro inconnu m’appelle. Je décroche, le type au bout du fil parle, mais je ne comprends rien. Je me dis que c’est une arnaque et je raccroche. Il rappelle, encore et encore. J’ai failli être insultant, mais il me dit :
— « Vous avez participé à un concours de dessin il y a quelques mois… Félicitations, vous avez gagné le troisième prix ! »
Je suis resté figé. 30.000 FCFA. À l’époque, c’était une fortune. C’était surtout la première fois que mon dessin me rapportait de l’argent. J’ai pleuré de joie et j’ai compris ce jour-là que je pouvais avoir de l’argent avec mes dessins.
Ma rencontre avec Photoshop et mon premier job
Quelques semaines plus tard, je croise par hasard Baskouda Shelley. Ce gars me parle de Photoshop avec une telle passion qu’il réussit à me convaincre de chercher le logiciel. Dès que je l’ai installé, ça a été une révélation. Mes journées étaient partagées entre les tutos en ligne qu’il me recommandait et… Pro Evolution Soccer. J’étais accro aux deux. En décembre 2010, j’ai réussi à acheter mon premier ordinateur.
Premier boulot dans le graphisme ? Par accident. J’avais créé une affiche pour Maahlox Le Vibeur, qui devait se produire dans un snack où je travaillais. En allant l’imprimer au CRADAT, l’imprimerie m’a repéré et m’a recruté. Joie immense. J’appelle tout le monde. Mais les parents ? « C’est bien, mais c’est juste en attendant que tu trouves un vrai métier ». Sérieusement ?
Mon premier jour, mon boss, M. Antoine, me demande de créer des fanions et des drapeaux pour proposer des gadgets à la FECAFOOT en vue de la Coupe du Monde 2014. Problème : je n’avais jamais fait ça de ma vie. Trois heures plus tard, il revient et trouve mon écran… vide. Son regard ? Une tempête. Il me gronde sévèrement. Un autre aurait abandonné. Moi, j’ai tenu bon. J’ai relevé la tête et promis de livrer quelque chose. À la fin de la journée, j’avais réussi à créer des fanions grace à photoshop. Avec le recul, c’était loin d’être parfait, mais le boss avait validé.
Cette journée m’a appris une chose : rien n’est jamais acquis. Dès que tu penses que tu maîtrises tout, tu commences à régresser.
De l’« infographe » au designer
J’ai passé un mois intense dans cette imprimerie, à apprendre comme jamais. M. Antoine m’a donné un conseil qui m’a suivi toute ma vie :
— « Si tu n’arrives pas à avoir quelque chose, crée-le. »
À cette époque, mes amis m’appelaient « infographe ». Mais mon complexe de l’imposteur était énorme. Je refusais ce titre : « Non, j’apprends encore. Je n’ai pas fait d’école pour ça. »
Puis, un an plus tard, une amie, Christelle Kana, me recommande pour un poste de Designer à 11i services la boite propriétaire du site de e-commerce Africashops.cm. Mon test ? Détourer des images. Un jeu d’enfant. J’ai passé l’entretien sans stress.
Mon premier jour là-bas restera gravé. J’arrive le premier, à 7h du matin (moi, arriver à l’heure ?!). Aurélien, un collègue, me regarde et me dit :
— « Bonjour, c’est vous le designer ? »
Designer. On venait de me donner ce titre officiellement. Moi qui refusais même « infographe », j’ai répondu sans hésiter :
— « Oui. C’est moi»
À ce moment-là, j’ai su que ma vie avait changé.
L’acceptation et la validation parentale
J’ai travaillé trois ans chez 11i Services avant de démissionner pour me lancer en freelance.
Mais si moi, j’avais accepté d’être designer, ce n’était pas encore le cas de mes parents. Pour eux, réussir sa vie, c’était être fonctionnaire. Tout le reste n’était que passe-temps. Ils s’inquiétaient : « Est-ce qu’il va finir par trouver un vrai travail ? »
Puis, en 2018, tout a changé.
J’ai commencé à travailler pour le Comité National Olympique et Sportif du Cameroun (CNOSC). Un poste officiel. Une institution sérieuse. Un travail qui portait enfin un « vrai » nom à leurs yeux. C’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à prendre mon métier au sérieux.
Petit à petit, ils ont réalisé qu’on pouvait réellement vivre du design. Que ce n’était pas juste une occupation, mais un vrai métier, avec des opportunités, de la reconnaissance… et un revenu stable.
Un jour, ma mère m’a posé une question qui m’a marqué :
— « Avec ton infographie-là, tu peux épouser une femme et la garder ? »
C’était sa manière de me dire : « Ce métier nourrit-il vraiment son homme ? »
Aujourd’hui, je peux répondre avec le sourire :
— Oui, maman. Et même bien plus que ça.

J’ai mis du temps à accepter que j’étais designer graphique. Il m’a fallu passer par le rêve militaire, le football, la caricature, Paint, des concours ratés et réussis, des boss exigeants, et une imprimerie où j’ai appris sous la pression.
Mais je suis arrivé là où je devais être.
Et si c’était à refaire ? Je ne changerais rien.
Parce qu’au final, c’est dans les détours qu’on trouve souvent son véritable chemin.



20 Commentaires